Ils travaillent avec compétence mais sans enthousiasme. Ils possèdent des qualités et des talents, mais ils ressentent de l’amertume et du découragement. Ils créent la richesse de la France, mais l’État les empêche de devenir riches. Ils produisent, entreprennent et innovent pour elle, mais notre pays les taxe, les réglemente et les harcèle. Beaucoup sont prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes mais, souvent, on ne leur demande rien. S’ils sont jeunes, ils sont ignorés, s’ils sont âgés, ils sont rejetés. Leur activité est bénéfique et nécessaire mais ceux qui sont désœuvrés ou assistés ne sont souvent pas moins rémunérés. Sans eux, la France serait un pays sous-développé, mais on leur préfère de plus en plus ceux qui viennent des pays en voie de développement. Tous aiment vivre en France mais certains d’entre eux décident de travailler à l’étranger.
Ils sont chefs d’entreprise, ingénieurs, cadres, artisans, professions libérales, contremaîtres, ouvriers. Ils font tourner l’économie française. Ils ont des compétences reconnues, mais beaucoup sont désabusés et parfois même désespérés. Ils se battent pour gagner, mais ceux qui devraient les soutenir sont les premiers à les accabler. Ils doivent affronter la concurrence sauvage du monde globalisé, mais en France ils sont freinés et handicapés. Ils se dépensent sans compter, mais ils ont le sentiment de ne pas être reconnus pour ce qu’ils représentent et de ne pas être récompensés pour ce qu’ils accomplissent.
Notre nation est malade, non par manque de ressources et de talents, mais par l’effet asphy-xiant des contraintes bureaucratiques et fiscales. Dans le domaine économique, elle dispose de formidables atouts et de solides acquis mais elle se pénalise elle-même en pratiquant une forme d’automutilation.
Résultat : notre pays se laisse progressivement distancer par de nombreux États industrialisés. Il est passé au sein de l’Union européenne du troisième au douzième rang pour le PIB par habitant. Et cette évolution, à la fois humiliante et inquiétante, ne date pas d’hier. Ainsi, par exemple, notre nation a‑t-elle aujourd’hui un PIB de 9 p. cent inférieur à celui de la Grande-Bretagne, alors qu’il était de 25 p. cent supérieur dans les années soixante-dix. Comment en serait-il autrement ? Pendant toute la décennie quatre-vingt-dix, notre pays a connu l’une des croissances les plus faibles des pays de l’OCDE.
Il y a là une réalité dramatique dont beaucoup de nos compatriotes n’ont pas pleinement conscience et que les responsables politiques et médiatiques cherchent à dissimuler. Et pour cause, cette dégradation n’est nullement le fruit de la fatalité, elle s’explique simplement par l’action que ces derniers mènent depuis deux ou trois décennies.
Nos gouvernants n’ont-ils pas systématiquement cassé les ressorts du dynamisme économique ? C’est en tout cas ce que l’on constate à propos du travail qui a été lourdement taxé et stupidement rationné. Le coût d’un emploi dans notre pays se situe maintenant parmi les plus élevés de tous les États occidentaux.
Plus grave encore, la France est, depuis la législation sur les trente-cinq heures, l’une des nations où l’on travaille le moins. Avec 1 463 heures, notre durée annuelle d’activité est en effet l’une des plus faibles du monde. En comparaison, elle s’élève à 1 850 heures en Grande-Bretagne et à 1 966 heures aux États-Unis. Comment, dans ces conditions, s’étonner que la productivité ait progressé chez nous quatre fois moins vite qu’en Amérique au cours de la dernière décennie ?
L’appareil de production a été lourdement handicapé par les hommes politiques qui ont systématiquement privilégié l’État, les collectivités et l’assistance au détriment de l’entreprise, de l’initiative privée et de l’emploi. L’administration d’État et l’ensemble des bureaucraties publiques pèsent d’un poids considérable sur l’économie et ont généré une réglementation tatillonne et complexe qui paralyse les initiatives. Les deux mille pages du code du travail freinent l’embauche, les mille huit cents articles du code des impôts découragent l’entreprise.
De surcroît, cette énorme machine, qui ralentit, alourdit, gêne et entrave l’économie, prélève sur elle un tribut colossal. Nos dépenses publiques qui, avec 54 p. cent du PIB, comptent parmi les plus élevées du monde sont consacrées pour l’essentiel aux transferts sociaux et aux salaires des fonctionnaires.
Quant au système de protection sociale, il devient de son côté lourd, complexe et paralysant. Ses principes de fonctionnement particulièrement archaïques développent dans la population une attitude d’irresponsabilité et une mentalité d’assistés. Son coût global, de près de trois cent cinquante milliards d’euros, et son déficit, qui dépasse maintenant les dix milliards d’euros chaque année, ne cessent d’augmenter. Et que dire des gaspillages qui s’accumulent ? L’Aide médicale d’État, qui assure une prise en charge à 100 p. cent de tous les frais de santé des immigrés clandestins, atteint 2 995 euros par bénéficiaire contre 1 504 euros pour un assuré du régime général et génère un déficit de près d’un milliard d’euros, soit l’équivalent des économies réalisées grâce à la réforme de l’assurance maladie.
À cela s’ajoute l’effet sclérosant de l’attitude des syndicats qui s’opposent à tout et n’agissent que pour défendre les privilèges des salariés du secteur public. Comment, dans ces conditions, le monde du travail et de l’entreprise ne se trouverait-il pas bloqué, stérilisé et étouffé ? Car, pendant que les ressources de la nation vont prioritairement vers les administrations et le social, l’appareil industriel de la France s’étiole. Et, s’il est vrai que la mondialisation accélère ce processus de désindustrialisation, tout cependant ne lui est pas imputable : placée dans un environnement comparable, la Grande-Bretagne compte aujourd’hui 3,4 millions d’entre-prises non agricoles alors que la France n’en possède plus que 2,4 millions.
Récemment, j’ai été frappé par la franchise et la lucidité d’un groupe de jeunes chefs d’entreprise français rencontré lors d’un voyage à Londres : « En Angleterre, m’ont-ils déclaré, nous avons mis cinq ans pour percer. Mais ce qu’on a pu faire ici, on n’aurait jamais pu le réaliser chez nous. Si la France ne change pas, elle est foutue. Car tous ceux qui veulent réussir vont faire comme nous. »
Et de fait, en pénalisant ceux qui travaillent et entreprennent, la France s’est engagée dans une spirale de stagnation et de chômage qui la place à la remorque des pays les plus performants. Avec un taux d’emploi de 63 p. cent, elle se situe en effet loin derrière la Grande-Bretagne (72 p. cent) et les États-Unis (75 p. cent).
Mais ce n’est pas tout car, pour masquer les effets délétères de sa politique, la classe dirigeante fait vivre la France au-dessus de ses moyens. Elle multiplie les déficits et recourt massivement à l’emprunt, obérant ainsi l’avenir de notre nation. Depuis 1995, la dette de la France a quasiment doublé pour atteindre maintenant les mille cent milliards d’euros, voire les deux mille milliards selon certaines estimations. Une charge considérable dont le remboursement annuel correspond grosso modo aux recettes de l’impôt sur le revenu.
Ce boulet que traîne l’économie française continue de s’alourdir. Ainsi, le déficit du budget de l’État ne représente jamais moins de 20 p. cent de son montant global. Quant aux pertes enregistrées par les organismes sociaux et les entreprises publiques, elles sont devenues abyssales. Rien que pour la Sécurité sociale, elles ont atteint en 2004 quatorze milliards d’euros.
La France apparaît donc économiquement malade : elle pèche par l’importance de ses prélèvements, la lourdeur de sa bureaucratie, la complexité de sa législation, la sclérose de ses syndicats, le coût de sa protection sociale, l’ampleur de ses déficits et le poids de sa dette.
Malgré cela, la classe dirigeante de notre pays continue de se rengorger et de vanter à tout propos le modèle qui est le nôtre. Pourtant, cette exception française est loin de fasciner les étrangers. Non seulement elle ne les séduit pas, mais elle fait figure de repoussoir et donne de notre pays une image frileuse et archaïque. À vrai dire, si le « modèle français » auquel se réfère la classe politique est représenté par le système dans lequel nous vivons actuellement, je prétends que ce n’est pas un modèle et qu’il n’a rien de français. Il s’agit en réalité d’un système obsolète et socialiste.
Faut-il pour autant adopter un modèle étranger ? Rien n’est moins sûr. Le modèle britannique, qui a le mérite inestimable d’avoir tiré le Royaume-Uni de la décadence dans laquelle il s’enfonçait au cours des années soixante-dix, ne présente pas que des avantages. Il a certes permis à la Grande-Bretagne de vaincre le chômage et d’offrir aux Britanniques une croissance soutenue. Mais, dans le même temps, l’Angleterre a perdu l’essentiel de son industrie pour n’être plus qu’une économie fondée sur la finance et les services. Quant à sa protection sociale et à ses services publics, ils sont loin d’être performants.
Si donc la France gagnait à s’inspirer de l’exemple anglais pour tenter de retrouver une prospérité égale à celle de nos voisins d’outre-Manche, elle devrait cependant imaginer un modèle qui lui soit propre. Ma conviction est que notre pays doit faire le choix stratégique d’un renouveau économique opérant en quelque sorte la synthèse entre les principes bénéfiques du système britannique et ceux qui, chez nous, ont fait le succès des Trente Glorieuses. Il s’agirait de prendre ce qu’il y a de meilleur dans les deux systèmes et pour le reste d’innover avec audace.
Comme me le disait avec humour un industriel ulcéré par la passivité des politiques, mais très lucide quant à la situation réelle de la France d’aujourd’hui, « le plus apte pour redresser notre économie, ce serait le fils de Pompidou et de Thatcher ».
Je crois qu’en matière économique, il nous faut maintenant opter pour une démarche originale alliant les forces créatrices de la liberté d’entreprendre à celles, plus stratégiques, de la volonté nationale. Libérons, déréglementons, détaxons, allégeons, mais, dans le même temps, créons l’environnement, préparons les conditions, fédérons les initiatives, orientons les actions et incarnons une volonté. Le moment est venu de conjuguer les vertus de l’initiative individuelle avec celles du volontarisme collectif.
Dans la mise en œuvre de ce nouveau modèle français, la priorité doit cependant aller à la libéralisation. Car, dans la mesure où notre pays a totalement basculé du côté du socialisme, il m’apparaît maintenant essentiel de le pousser vers la liberté et la responsabilité. Dans cet esprit, chacun sait bien qu’un premier pas décisif doit être franchi : il faut réduire le poids de l’État, diminuer les impôts et alléger la réglementation. Avec un objectif : remettre le travail à l’honneur. Comme le souligne Nicolas Baverez dans la France qui tombe, « il est […] vital de réhabiliter le travail à la fois comme valeur et comme source première des revenus (1) ».
Pour cela, il faut en finir avec les déclarations d’intention, les mesures symboliques et les actions marginales. Notre pays a besoin d’un traitement de choc : les mesures à prendre doivent être à la hauteur des problèmes à résoudre.
S’agissant de la réduction des contraintes législatives et réglementaires, il faut, avant tout, rendre aux acteurs économiques la liberté dont ils ont besoin pour créer et produire. Permettons-leur d’embaucher et de débaucher de façon simple et rapide, la liberté de licenciement étant d’ailleurs la garantie d’un plus grand nombre d’embauches.
Abrogeons également les trente-cinq heures et offrons aux employeurs comme aux employés une réelle marge de manœuvre pour définir leurs horaires de travail. Que ceux qui veulent travailler moins puissent le faire en gagnant moins, que ceux qui souhaitent une rémunération plus importante puissent l’obtenir en effectuant un plus grand nombre d’heures. Le moment est venu de revoir entièrement le code du travail, aujourd’hui complexe et archaïque. Au lieu de multiplier des petites réformes aux effets limités que le gouvernement ne parvient même pas à faire accepter, comme l’a montré l’affaire du CPE en avril 2006, il est maintenant essentiel d’adopter une législation nouvelle, simple et moderne reposant sur le principe de la liberté et de la responsabilité des différentes parties.
Il faut cependant aller plus loin car, au-delà du code du travail, les entreprises sont soumises au code des impôts, au code du commerce, au code de la sécurité sociale, le tout représentant plus de huit mille pages d’exigences complexes et formalistes, au demeurant sans cesse remaniées. Ces codes devraient être refondus et simplifiés de façon que leur volume soit au moins divisé par trois.
Pourquoi ne pas généraliser cette méthode à l’ensemble de la législation et de la réglementation ? Pour simpliste qu’elle paraisse, la technique se révélerait d’une grande efficacité. On pourrait en tout cas mettre en place un suivi quantitatif de la réglementation d’État et poser le principe que son volume ne doit plus augmenter. À charge pour les administrations qui veulent instaurer de nouveaux textes d’abroger à due proportion des articles de loi ou des règlements plus anciens.
Il est temps par ailleurs de réaliser enfin une grande réforme fiscale. Aujourd’hui, le code général des impôts constitue un véritable imbroglio instaurant plus de mille impôts, taxes et cotisations divers, dotés chacun d’une cohorte de régimes différents, forfaitaires ou dérogatoires, de décotes, d’abattements et d’exonérations. Pourquoi ne pas supprimer d’emblée 50, voire 60 ou 70 p. cent de ces prélèvements ? Si l’on sélectionne ceux dont le produit est le plus faible, leur suppression aurait sur les finances publiques un impact au demeurant négligeable.
Mais cela ne peut suffire. Il faut aussi revenir sur les impôts plus lourds qui ont sur le système économique et social des effets négatifs. L’impôt sur les successions en ligne directe devrait être abrogé pour permettre le maintien des patrimoines au sein des familles. Dans le même esprit, il faudrait supprimer l’impôt sur les grandes fortunes ( ISF ) qui pénalise aussi les petits patrimoines, rapporte fort peu à l’État et fait perdre beaucoup d’argent à la France.
L’essentiel de la réforme fiscale devrait cependant porter sur les impôts directs. Qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu, des deux impôts fonciers et de la taxe d’habitation mais aussi de la taxe professionnelle, ils concernent presque tous les Français et font peser sur eux le poids d’un État inquisiteur et spoliateur. Pour alléger et simplifier ce système, je suis partisan de supprimer ces cinq prélèvements et de les remplacer par une taxe unique assise sur l’ensemble des revenus et prélevée à la source comme la CSG. Disposant d’une très large assiette, cet impôt pourrait être affecté d’un taux modéré et comporter une part destinée à alimenter le budget de l’État et une autre réservée au financement des différentes collectivités territoriales.
Encore faut-il que cette refonte des impôts ne se traduise pas seulement par une simplification du mode de prélèvement, mais aussi par une réduction du montant des sommes prélevées. Pour cela, il convient de diminuer les dépenses publiques et d’alléger le poids de l’État, un État aujourd’hui obèse et impotent. Et s’il faut renforcer les moyens nécessaires à ses missions de souveraineté, comme la sécurité, il convient d’alléger partout ailleurs ses structures. L’État doit maigrir et se muscler. Pourquoi dès lors ne pas supprimer les innombrables organismes, comités, conseils, instituts, dont l’utilité n’est pas évidente ? Pourquoi ne pas resserrer l’ensemble de ses services, supprimer ceux qui font double emploi et limiter une fois pour toutes le nombre de ministères ?
Il me paraît également nécessaire de réaliser une grande réforme des collectivités locales. Avec la décentralisation et la mise en place de cinq ou six niveaux d’administration territoriale, la France a créé un écheveau bureaucratique à la fois complexe et coûteux. Il faut donc simplifier ces structures et réduire à trois le nombre des collectivités : les communes, les communautés de communes ou communautés urbaines et les régions, quitte à en revoir le découpage.
Un tel processus faciliterait la réduction indispensable du nombre de fonctionnaires. Aujourd’hui, la France en compte 2,5 millions et près de six millions si l’on comptabilise tous les agents à statut public. Le temps est venu, comme l’a fait par exemple la Grande-Bretagne, de ne plus remplacer qu’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite et de maintenir cette règle dans la durée. Pareille méthode ne serait nullement défavorable aux fonctionnaires à qui elle permettrait au contraire d’être mieux employés, mieux considérés et même un peu mieux rémunérés puisqu’ils seraient moins nombreux. Elle serait de surcroît salutaire pour la nation qui verrait ainsi ses dépenses publiques diminuer de façon significative.
Il faut donc généraliser les coupes claires dans le budget de l’État. Est-il normal par exemple que ce dernier subventionne chaque année des organismes, entreprises et associations diverses pour plus de vingt milliards d’euros ? A‑t-on la certitude que ces crédits ne pourraient pas être réduits de 30, voire de 50 p. cent ? Et que dire des vingt-cinq milliards consacrés à ce qu’il convient d’appeler les aides à l’emploi ? Alors que le taux de chômage flirte toujours avec les 10 p. cent, est-on certain qu’il est préférable de prélever ces sommes pour subventionner des emplois plutôt que de réduire à due proportion les charges des entreprises pour leur permettre d’embaucher davantage ? Quant aux quelque six milliards et demi d’euros engloutis chaque année dans la politique de la Ville, ils se sont révélés totalement inutiles et pourraient donc être purement et simplement supprimés.
Avec des économies substantielles sur ces trois postes budgétaires, mais aussi sur d’autres, on pourrait obtenir très rapidement une première diminution des dépenses publiques d’au moins trente milliards d’euros, ce qui représente 10 p. cent du budget et la moitié de l’impôt sur le revenu. Tout cela est possible à condition de changer la philosophie qui prévaut actuellement dans l’utilisation des fonds publics. Aujourd’hui, la classe politique considère que pour résoudre un problème il suffit de lui allouer des crédits. Mais ce n’est pas toujours vrai. On dépense de plus en plus pour l’école, pour les cités et pour l’emploi, mais rien n’y fait : le chômage se maintient, l’insécurité s’accroît et le niveau scolaire se dégrade.
C’est d’ailleurs l’opinion que m’avait confiée, un peu désabusé, un haut fonctionnaire de l’Économie, juste après une réunion de la commission des finances de l’Assemblée nationale. La discussion avait porté sur des dépenses supplémentaires pour les banlieues. « Le paradoxe, me disait-il, c’est qu’on croit pouvoir réduire les difficultés sociales en augmentant les dépenses publiques. En réalité, avec cette méthode, on ne résout pas du tout les problèmes du pays, mais on est sûr d’aggraver ceux du budget. » Et d’ajouter, un peu ironique : « Si on réduisait les dépenses, la situation du pays ne serait pas pire, mais celle des finances serait meilleure. » Telle est bien la ligne qu’il faudrait suivre désormais dans de nombreux domaines.
Réforme de l’État, réforme fiscale, réforme de la législation, le renouveau économique est possible pour rendre à notre pays toutes les chances dont disposent ses concurrents. Or, notre nation, malgré ses handicaps actuels, réussit encore à faire bonne figure. Si elle bénéficiait, comme le Royaume-Uni, d’une grande liberté pour ses entreprises, si l’État se trouvait allégé et si les prélèvements diminuaient, elle pourrait reprendre la tête de tous les pays européens.
D’autant que notre pays détient par ailleurs un atout qui lui est propre et que les autres nations ne possèdent pas. Je pense à l’État qui, depuis Colbert, a toujours joué en France un rôle moteur, y compris sur le plan économique. Cette spécificité française ne doit pas être abandonnée au motif que la libéralisation est nécessaire. Car, s’il nous faut un État moins lourd, nous ne voulons pas pour autant d’un État passif.
N’oublions pas que nous vivons encore sur les succès économiques et technologiques des années soixante soixante-dix, succès qui n’auraient pas été possibles sans l’intervention de l’État. Le programme électronucléaire, les réalisations ferroviaires ou celles de l’aéronautique et de l’espace par exemple, n’auraient jamais abouti si l’État ne s’était investi lui-même dans toutes ces entreprises.
Je suis personnellement partisan de rester fidèle à cette singularité propre au génie de notre nation. Aussi, dans le nouveau modèle économique français qu’il nous faut imaginer, l’action volontariste et fédératrice de l’État doit-elle venir compléter celle de l’initiative privée. Cette exigence me paraît d’ailleurs d’autant plus légitime que notre pays est plongé dans l’arène du monde globalisé et qu’il doit y affronter la guerre économique planétaire. Il serait donc naïf et criminel de ne pas mettre en œuvre, à l’échelon du pays, tous les moyens nécessaires pour défendre et promouvoir nos intérêts.
Aussi devons-nous développer une stratégie industrielle offensive, en appliquant notamment les principes de l’intelligence économique, comme le préconise Bernard Carayon, député du Tarn et auteur d’un important rapport sur le sujet. Des comités stratégiques peuvent ainsi être créés, secteur par secteur, afin de mobiliser, à côté des entreprises concernées, tous les moyens de l’État, que ce soit le réseau de nos ambassades, les services de renseignement ou tous les départements ministériels intéressés. Et, dans ces enceintes, pas question de contrôler, de réglementer et de taxer ! Il s’agira de faciliter, d’encourager et de renforcer. Quant aux objectifs, ils doivent être concrets : conquérir un marché à l’étranger, créer un grand groupe industriel national ou européen, riposter à une offensive commerciale chinoise ou contrer une OPA étrangère hostile.
Dans cet esprit, il me paraît essentiel que l’État suscite et porte à nouveau de grands projets industriels d’intérêt national. Face aux difficultés croissantes d’approvisionnement en pétrole et à la hausse incessante du prix du baril de brut, la puissance publique devrait réagir par la mise en œuvre de projets de grande ampleur. À la fin des années soixante-dix, après le premier choc pétrolier, la France avait pris la décision de construire des centrales nucléaires. Aujourd’hui, pourquoi ne lancerait-elle pas un programme aussi volontariste en faveur des biocarburants fabriqués à partir de la matière végétale ?
Les grands projets à développer et à soutenir doivent porter prioritairement sur les hautes technologies, celles qui conditionnent l’avenir. Pour ce faire, il est urgent d’engager une rénovation en profondeur de la recherche scientifique française. Ce secteur vital pour notre pays est aujourd’hui en régression : l’effort de recherche a diminué au cours des dix années écoulées. Les moyens qui lui sont affectés ne représentent que 2,2 p. cent du PIB, alors qu’ils sont de 2,5 p. cent en Allemagne, de 2,8 p. cent aux USA et de 3,1 p. cent au Japon. La France doit adopter dans ce domaine une démarche offensive de reconquête et mobiliser les moyens nécessaires pour atteindre, d’ici à cinq ans, un niveau comparable à celui des États-Unis. Cela passe, comme le réclame à juste raison Éric Le Boucher, par « un effort massif de recherche-développement financé par l’État mais aussi par les entreprises qui ne devraient plus s’en dispenser. Celles-ci doivent en échange imposer le seul critère de gestion de la recherche qui vaille : l’excellence (2) ».
Aussi faudra-t-il revoir l’organisation de la recherche française devenue par trop bureaucratique. Pourquoi ne pas faire éclater le CNRS en autant de laboratoires et d’instituts autonomes susceptibles de mobiliser des crédits de toutes origines sur des projets clairement identifiés ? Il faut par ailleurs réorienter notre recherche vers les sciences qui peuvent servir le développement de notre pays, qu’elles soient fondamentales ou appliquées. Privilégions la recherche sur les nanotechnologies, sur la génétique ou la biologie moléculaire par exemple et laissons la recherche sur les arts premiers ou sur la sociologie des villages normands au travail universitaire ! Enfin, il faut redonner aux chercheurs le statut et la rémunération qu’ils méritent, une rémunération qui soit proportionnelle aux succès remportés et qui puisse se comparer à celles que l’on verse ailleurs et notamment aux États-Unis d’Amérique !
Cette entreprise de renouveau de la recherche doit aller de pair avec la reconstruction de notre système éducatif. Aujourd’hui, l’école est en crise et pénalise à la fois nos enfants et notre pays. Elle fabrique en effet 10 p. cent d’illettrés, produit chaque année cent soixante et un mille jeunes sans qualification et, surtout, elle provoque une baisse générale du niveau d’instruction. La France se classe maintenant au sein de l’OCDE quinzième sur trente-deux pour les performances en termes de lecture par exemple.
Il est temps, là encore, de rompre avec les pratiques anciennes qui ne voyaient de solution que dans l’augmentation du nombre des fonctionnaires. Depuis 1985, les effectifs du ministère de l’Éducation nationale ont augmenté de 13 p. cent alors que le nombre des élèves a baissé, de 1990 à aujourd’hui, d’environ huit cent quatre-vingt mille et le tout sans aucune amélioration des performances du système.
Cette contre-productivité n’a d’ailleurs rien d’étonnant car ce sont en réalité les méthodes pédagogiques qui sont la cause de ce fiasco. Et c’est bien ce que dénonce l’un des plus grands universitaires français, Laurent Lafforgue, médaille Fields de mathématiques, dans un courrier adressé au président du Haut Conseil à l’éducation (HCE) : « Notre système éducatif public est en voie de destruction totale […à cause] de toutes les politiques et de toutes les réformes menées par tous les gouvernements depuis la fin des années soixante […] qui consistent à ne plus accorder de valeur au savoir. »
Ce sont donc maintenant les objectifs, les méthodes et le contenu de l’enseignement qu’il faut réformer. Le moment est venu d’assigner de nouveau à l’école la mission de transmettre le savoir et de renouer avec l’impératif d’excellence. Abandonnons le collège unique et diversifions les filières, rétablissons les classements et l’émulation, encourageons et récompensons le travail, restaurons la discipline et l’autorité des maîtres. Instaurons, notamment pour les universités, l’autonomie des établissements et la sélection au recrutement. Bref, mettons en place tout ce qui permet à chaque élève et à chaque étudiant de développer au maximum ses capacités et de s’orienter vers les matières où il pourrait s’épanouir et servir au mieux la nation.
Ainsi l’État, à qui il revient d’exprimer une volonté d’excellence et d’incarner une stratégie de succès, a‑t-il un rôle essentiel à jouer dans la renaissance économique de notre pays. Un rôle d’autant plus important qu’il devra dans le même temps rénover entièrement la politique sociale.
Il faut en effet rompre définitivement avec la lutte des classes, avec la culture de l’envie et du ressentiment et inverser complètement la logique de l’action publique. Selon les socialistes, plus il y a de prestations, d’allocations et de redistribution, mieux les Français sont censés se porter. Or, rien n’est plus faux, car, si l’assistance est un palliatif souvent indispensable, elle ne doit pas devenir un but en soi. L’objectif à viser consiste au contraire à offrir à chacun la possibilité de vivre dignement des revenus de son travail, présent ou passé, sans aide ni tutelle. Pour ce faire, la priorité est de créer des emplois et d’encourager le travail. Le progrès social passe donc à l’évidence par le renouveau économique.
Mais, pour renforcer cette autonomie financière des Français, je suis également partisan de favoriser la constitution de patrimoines, y compris chez nos compatriotes aux revenus les plus modestes. Lançons par exemple une grande politique de propriété populaire permettant à chaque famille d’obtenir des prêts aidés et d’accéder à la propriété de son logement !
La propriété est bénéfique, elle enracine, responsabilise et sécurise. Un homme âgé, militant du MNR, que je félicitais pour la tenue de son pavillon, me le faisait remarquer récemment : « Vous savez, je n’ai qu’une toute petite retraite, si je n’étais pas propriétaire, je n’aurais pas pu m’en sortir. » La propriété inaliénable d’un logement et la constitution d’un patrimoine que l’on peut transmettre sans impôt à ses enfants ou petits-enfants constituent les plus sûres des garanties pour faire face aux aléas de l’existence.
Il me paraît également indispensable de remettre en service l’ascenseur social, celui qui permet à chacun de progresser dans la hiérarchie de la société grâce à son talent et à son travail. Et pour cela, point n’est besoin d’instituer des quotas permettant par exemple aux enfants des banlieues d’entrer à Sciences-Po par un concours au rabais. La vraie solution passe par une économie libérée, où les contraintes seraient réduites au minimum et où chacun pourrait donner libre cours à ses dons et à ses capacités. Rien de tel également que la mise en application, dans tout le système social, du principe de responsabilité grâce auquel, par exemple, ceux qui le souhaitent peuvent partir en retraite plus tard pour cotiser moins tous les mois ou, à l’inverse, verser une cotisation plus importante pour cesser de travailler plus tôt. Il est temps que ceux qui acceptent des sacrifices, qui se battent et prennent leur vie en main, soient avantagés par rapport à ceux qui se contentent de faire valoir leurs droits.
L’économie française, développée par des acteurs libérés et motivés, soutenue par un État rénové et offensif, pourrait, j’en suis convaincu, prendre un nouvel élan et créer à nouveau suffisamment d’emplois et de richesse pour assurer la prospérité de nos compatriotes et ramener l’harmonie dans notre pays.
La France, ayant renoué avec la croissance et la réussite économique, pourrait alors se hisser à la première place en Europe.
1. Nicolas Baverez, La France qui tombe, Perrin, 2004.
2. Éric Le Boucher, Économiquement incorrect, Grasset, 2005.