L’autre scénario. Chapitre 7 : Le soleil gris de Bruxelles

22 juin 2020

Temps de lecture : 10 minutes

Per­son­ne ne les con­naît et pour­tant ils régis­sent notre vie. Ils par­lent toutes les langues, mais ils ont du mal à se faire enten­dre. Ils tra­vail­lent dans des immeubles de verre et de béton comme on en trou­ve partout, mais nul ne sait qui ils sont, d’où ils vien­nent et com­ment ils sont arrivés là. On ne les voit jamais, mais ils sont plus puis­sants que tous ceux qu’on voit à la télévi­sion. Ce sont des per­son­nages ordi­naires, gris, anonymes et inter­change­ables, mais ils peu­vent faire pli­er les États. Ils n’ont pas de nom, mais ils imposent leurs normes. On ne con­naît pas leurs fonc­tions, mais ils régle­mentent les métiers. Ils ne par­lent pra­tique­ment jamais en pub­lic, mais leurs textes sont plus forts que nos lois. On ne sait pas où ils veu­lent aller, mais ils nous y emmènent.

Ce sont les euro­crates, les fonc­tion­naires de l’Eu­rope brux­el­loise. Com­mis­saires et col­lab­o­ra­teurs de tous rangs, ils diri­gent l’Eu­rope. Quelles que soient les struc­tures poli­tiques et démoc­ra­tiques cen­sées les coif­fer, ils mènent le jeu et pren­nent l’ini­tia­tive de tout ce qui se passe à Brux­elles. Ce sont eux qui assurent la con­ti­nu­ité et la per­ma­nence des struc­tures européennes. Jamais élus, tou­jours nom­més, ils ne ren­con­trent pas les peu­ples européens. Tout se passe par l’in­ter­mé­di­aire de règle­ments ou de direc­tives qu’ils dictent aux gou­verne­ments nationaux. Ils incar­nent l’Eu­rope brux­el­loise dont on nous dit qu’elle est l’Eu­rope et qu’elle est notre avenir.

Sans doute n’y a‑t-il pas, dans le dis­cours dom­i­nant, de mots d’or­dre plus puis­sants que celui-là. L’Eu­rope est le pre­mier cre­do du poli­tique­ment cor­rect, le prin­ci­pal dogme de la pen­sée unique et, à ce titre, un sujet d’ac­tu­al­ité per­ma­nent. Elle occupe régulière­ment le devant de la scène médi­a­tique. Elle s’insin­ue partout et se mêle de tout. On la trou­ve sur les éti­quettes des pro­duits qui nous sont ven­dus, dans les règle­ments qui nous sont imposés, sur les plaques minéralogiques des voitures dans lesquelles nous roulons et sur les passe­ports avec lesquels nous voy­a­geons. On la trou­ve même à côté du dra­peau français dans toutes les man­i­fes­ta­tions officielles.

Omniprésente dans notre vie quo­ti­di­enne, l’Eu­rope est, nous dit-on, béné­fique, néces­saire et inéluctable. Elle incar­ne tout à la fois la moder­nité, le pro­grès et le futur. Il faut s’y pré­par­er, s’y adapter, s’y habituer. Et honte à ceux qui met­traient en doute pareille vérité ou qui auraient à son égard quelques réti­cences : ils ne peu­vent être que des ringards ou des passéistes à courte vue. L’avenir n’est plus dans les nations. La France, l’Alle­magne, l’I­tal­ie sont vouées à s’estom­per, à se diluer et à dis­paraître. Il faut détru­ire les fron­tières, abat­tre les bar­rières, com­bat­tre les préjugés. Le soleil se lève à Bruxelles.

Peu importe que ce soleil soit gris et que les struc­tures européennes soient si peu appré­ciées par les peu­ples ! Peu importe qu’elles imposent partout des règles con­traig­nantes et sou­vent trau­ma­ti­santes ! Peu importe que l’abaisse­ment des fron­tières européennes ait mul­ti­plié les délo­cal­i­sa­tions, ampli­fié l’im­mi­gra­tion clan­des­tine et facil­ité tous les trafics ! L’Eu­rope doit pour­suiv­re son chemin. Il faut sans cesse l’élargir à d’autres pays, aug­menter ses com­pé­tences, la dot­er de nou­velles institutions.

Surtout, nul ne doit frein­er sa pro­gres­sion sinon, nous explique-t-on, le pire pour­rait sur­venir : l’Eu­rope serait en panne. Pour­tant, lorsqu’elle paraît en bonne san­té et qu’elle « avance », rien ne sem­ble aller mieux. Le traité de Maas­tricht devait accélér­er la crois­sance économique de l’U­nion, réduire le chô­mage et amélior­er le niveau de vie des Européens. Rien de tel n’est sur­venu. Depuis son entrée en vigueur, le taux d’aug­men­ta­tion du PIB de la zone euro pla­fonne à deux pour cent, un chiffre deux fois inférieur au taux moyen de la planète.
Mais ce marasme n’ébran­le nulle­ment les par­ti­sans de Brux­elles. Pour que l’Eu­rope aille mieux, nous dis­ent-ils, il faut encore plus d’Eu­rope, plus de règle­ments, plus d’in­sti­tu­tions, plus de pays mem­bres. Une fuite en avant qu’on a même érigée en doc­trine. Comme me l’af­fir­mait, avant le référen­dum sur la con­sti­tu­tion européenne, un haut fonc­tion­naire de la Com­mis­sion, man­i­feste­ment plus lucide que d’autres, « l’Eu­rope est en déséquili­bre per­ma­nent, il faut sans cesse un nou­veau traité pour avancer, sinon on recule. Le prob­lème, c’est qu’avec cette méth­ode, per­son­ne n’y com­prend plus rien ». C’est pourquoi il faut inlass­able­ment tra­vailler l’opin­ion et expli­quer aux Français et aux Européens qu’ils ont tort de douter de Bruxelles.

Pour­tant, rien n’y fait et la vic­toire du non au scrutin référendaire de mai 2005 a mon­tré de façon spec­tac­u­laire que nos conci­toyens sont de plus en plus nom­breux à se pos­er des ques­tions : depuis le temps qu’on nous en par­le, à quoi nous a servi l’Eu­rope ? Le chô­mage, la pré­car­ité et l’im­mi­gra­tion ont-ils reculé ? Sommes-nous plus forts, plus respec­tés ? Que nous a apporté l’eu­ro ? Pourquoi faut-il faire adhér­er la Turquie à l’U­nion ? Finale­ment, où veut-on nous emmen­er avec cette Europe que per­son­ne n’ar­rive à définir clairement ?

Les Français ont bien rai­son de rester scep­tiques, de se méfi­er et de s’in­ter­roger. Cette organ­i­sa­tion qui siège à Brux­elles, dirigée par une Com­mis­sion anonyme dont on ne dis­cerne ni les buts ni les modes de fonc­tion­nement, peut-elle réelle­ment défendre l’Eu­rope et sauve­g­arder ses intérêts ? Cette struc­ture mal iden­ti­fiée qui vient sans cesse impos­er de nou­velles règles, est-elle vrai­ment béné­fique pour notre con­ti­nent et ses habi­tants ? Cette insti­tu­tion qui cherche à sup­planter pro­gres­sive­ment les États, dis­pose-t-elle d’une réelle légitim­ité pour con­stru­ire l’avenir des Européens ?

Per­son­nelle­ment, je ne le crois pas. Et cela pour la rai­son fon­da­men­tale que les insti­tu­tions européennes ne con­stru­isent pas l’Eu­rope ! Deux idées forces sous-ten­dent en effet le pro­jet européiste : la pre­mière prône la libéral­i­sa­tion et l’ou­ver­ture des marchés, la sec­onde met en avant la démoc­ra­tie et les droits de l’homme.

L’U­nion européenne se déclare certes com­pé­tente dans pra­tique­ment tous les domaines, mais c’est bien l’é­conomie qui a, de tout temps, représen­té l’essen­tiel de sa sphère d’in­ter­ven­tion. Et, dans ce secteur, sa ligne direc­trice a tou­jours été l’éd­i­fi­ca­tion d’un grand marché unique organ­isé selon les principes du libéral­isme. Un libéral­isme qui doit s’é­panouir à l’in­térieur de l’U­nion, mais qui doit aus­si la con­duire à s’ou­vrir aux échanges mon­di­aux. En clair, la prin­ci­pale activ­ité de Brux­elles con­siste à libéralis­er tou­jours plus les économies européennes pour les inté­gr­er au monde globalisé.

Quant aux droits de l’homme, ils ne con­stituent certes pas un secteur d’ac­tiv­ité impor­tant en soi, mais ils représen­tent l’essen­tiel des références de l’U­nion et ser­vent même à la définir. Ain­si, dans le pro­jet de con­sti­tu­tion européenne rejeté par la France en mai 2005, la seule con­di­tion exigée d’un État pour faire par­tie de l’U­nion était son adhé­sion à une série de valeurs rel­e­vant toutes des droits de l’homme.

L’ar­chi­tec­ture de cette con­sti­tu­tion avortée con­forte d’ailleurs mon pro­pos. Car, si le titre I définis­sait les insti­tu­tions, le titre II était entière­ment con­sacré aux droits de l’homme et le titre III aux dif­férentes poli­tiques, c’est-à-dire pour l’essen­tiel à la libéral­i­sa­tion économique. Ces deux notions se trou­vent donc bien au cen­tre de l’en­tre­prise brux­el­loise puisqu’elles occu­paient, dans l’e­sprit des con­sti­tu­ants, autant de place que les insti­tu­tions elles-mêmes.

Or, aucun de ces deux principes ne peut être fon­da­teur de l’Eu­rope, car, de toute évi­dence, ils n’ont l’un et l’autre rien de spé­ci­fique­ment européen. Ils relèvent plutôt de l’idéolo­gie mon­di­al­iste et en con­stituent même les deux piliers. Selon cette doc­trine, en effet, le monde doit être unifié par les échanges économiques dans le cadre d’une libéral­i­sa­tion inté­grale. Quant aux droits de l’homme, ils doivent for­mer le socle des valeurs com­munes à la planète. Dès lors, on le voit, les européistes pré­ten­dent con­stru­ire l’Eu­rope en util­isant les out­ils des mon­di­al­istes. Et, plutôt que l’Eu­rope, n’est-ce pas, en réal­ité, le monde glob­al­isé qu’ils sont en train d’éd­i­fi­er ? Comme l’af­firme Élie Bar­navi, his­to­rien et ancien ambas­sadeur d’Is­raël en France, « Si l’Eu­rope ne se définit que par les droits de l’homme, elle n’ex­iste pas (1) ».
En m’in­ter­ro­geant sur le rôle du libéral­isme et des droits de l’homme dans le dis­posi­tif brux­el­lois, je ne songe pas un instant à met­tre en cause le principe même de ces deux notions. Je suis en effet pro­fondé­ment attaché à la démoc­ra­tie ain­si qu’aux droits fon­da­men­taux des per­son­nes et par ailleurs totale­ment con­va­in­cu de l’ef­fet béné­fique des lib­ertés économiques. Ce que je con­teste, c’est l’u­til­i­sa­tion par­ti­sane qui est faite de ces deux notions pour ten­ter de dis­soudre les com­mu­nautés humaines et, en l’oc­cur­rence, les nations mais aus­si l’Europe.
Ain­si, en s’ap­puyant sur une inter­pré­ta­tion ten­dan­cieuse des droits de l’homme, les européistes, qui con­damnent déjà la préférence nationale, refusent-ils égale­ment la préférence européenne. Une préférence pour­tant prévue à l’o­rig­ine dans le traité de Rome. On ne veut pas priv­ilégi­er les nations, mais on ne veut pas non plus favoris­er l’Eu­rope ! Ce qui est, somme toute, logique lorsqu’on ne cherche pas à la construire.

De même, pour men­er leur pro­jet libéral, les autorités brux­el­lois­es, qui ont détru­it les fron­tières économiques entre les États mem­bres, ont égale­ment fait large­ment dis­paraître celles qui sépar­ent l’U­nion du reste du monde. On veut ouvrir les nations à l’Eu­rope, mais on veut aus­si élargir notre con­ti­nent à la planète entière. Ce qui est assez naturel lorsqu’on se préoc­cupe plus de glob­al­i­sa­tion mon­di­ale que de con­struc­tion européenne.

Si donc le libéral­isme et les droits de l’homme con­stituent les moteurs de l’en­tre­prise brux­el­loise, on est en droit de se deman­der si c’est bien l’Eu­rope que les européistes pré­ten­dent édi­fi­er. Il y a en effet de par le monde de nom­breux pays qui pra­tiquent la démoc­ra­tie, respectent les droits de l’homme et qui sont organ­isés selon les principes du libéral­isme économique. Pour autant, ces États n’ont rien à voir avec notre con­ti­nent et n’ont pas voca­tion à en faire par­tie. On imag­ine mal en effet l’Aus­tralie, le Cana­da ou le Mex­ique faisant par­tie de l’Union.

C’est pour­tant bien dans cet esprit que les européistes sont favor­ables à l’ad­hé­sion de la Turquie. Ce pays est con­tigu à l’Eu­rope et pra­tique le libéral­isme économique. Il suf­fit qu’il fasse encore quelques efforts dans le domaine des droits de l’homme pour que rien, selon eux, ne s’op­pose à son entrée. S’il n’y avait pas la résis­tance des peu­ples, cela irait de soi. Car, peu importe qu’il s’agisse d’un pays asi­a­tique, de reli­gion musul­mane et d’his­toire ottomane, peu importe qu’il n’ait donc rien d’eu­ropéen, s’il respecte les deux critères brux­el­lois, il a, nous dit-on, toute sa place dans l’U­nion. L’Eu­rope n’a pas besoin d’être européenne !

Tel est bien le mes­sage implicite que les autorités de Brux­elles adressent aux can­di­dats à l’ad­hé­sion. Lorsqu’il y a quelques années déjà, j’avais reçu une délé­ga­tion de par­lemen­taires turcs venus plaider la cause de leur pays, je m’en étais ren­du compte de façon assez inat­ten­due. L’essen­tiel de leur argu­men­ta­tion con­sis­tait en effet à m’ex­pli­quer que leur économie fonc­tion­nait main­tenant selon les principes du marché libre. « Quant aux droits de l’homme, m’avaient-ils affir­mé, les pro­grès ont été con­sid­érables. » En réponse, je leur avais fait val­oir que la Turquie — que je con­nais bien et que j’ap­pré­cie — n’est pas un pays européen. Et, à l’év­i­dence, mes pro­pos les avaient pris com­plète­ment au dépourvu : « Oui, c’est en par­tie vrai, m’avaient-ils répon­du, mais cet aspect du dossier n’a jamais été soulevé par nos inter­locu­teurs bruxellois. »

La ques­tion turque est pour­tant fon­da­men­tale. Car l’ad­hé­sion de cet État à l’U­nion ne man­querait pas de provo­quer des trou­bles très graves. Il s’ag­it en effet d’un pays qui compte déjà soix­ante et onze mil­lions d’habi­tants et dont la pop­u­la­tion attein­dra qua­tre-vingt-dix mil­lions d’i­ci à vingt ans. Or, les Turcs sont déjà très nom­breux à s’être instal­lés dans les pays d’Eu­rope occi­den­tale où ils con­stituent, à côté des Maghrébins et des autres musul­mans, une part non nég­lige­able de la pop­u­la­tion immi­grée. S’ils acquéraient — comme c’est de droit pour tous les pays mem­bres — la lib­erté de cir­cu­la­tion sur le ter­ri­toire européen, ils seraient innom­brables à vouloir rejoin­dre leurs com­pa­tri­otes déjà implan­tés sur notre sol.

Par ailleurs, la dif­férence de niveau de vie entre l’Eu­rope et la Turquie est con­sid­érable : le PIB n’at­teint pas là-bas six mille euros par habi­tant, alors qu’il dépasse vingt et un mille euros dans l’U­nion. Une dis­par­ité qui ne man­querait pas de créer de graves déséquili­bres dont les tra­vailleurs français et européens feraient les frais. Non seule­ment ils se ver­raient con­cur­rencer sur leur pro­pre sol par la main-d’œu­vre bon marché des immi­grés turcs, mais de nom­breuses entre­pris­es ne résis­teraient pas à la ten­ta­tion de délo­calis­er leurs activ­ités en Asie Mineure. L’ad­hé­sion de la Turquie se sol­derait par une nou­velle atteinte à notre iden­tité et une recrude­s­cence du chômage.

Quand on mesure le choc que pro­duit déjà l’élar­gisse­ment de l’U­nion à dix petites nations, pour­tant européennes et chré­ti­ennes, on imag­ine le trau­ma­tisme que provo­querait l’en­trée dans l’Eu­rope d’un grand pays asi­a­tique et musul­man. Si donc les respon­s­ables européens ignorent cette réal­ité pour­tant évi­dente et main­ti­en­nent, envers et con­tre tout, leur pro­jet turc, c’est que l’ad­hé­sion de ce pays con­stitue pour eux un objec­tif stratégique essen­tiel. Un objec­tif qui révèle bien la nature pro­fonde de leurs inten­tions. Avec la Turquie, pensent-ils, on dépasserait enfin les lim­ites étroites du con­ti­nent européen et surtout on évit­erait que l’Eu­rope ne reste un « club chré­tien ». Car l’U­nion doit rem­plir sa fonc­tion uni­ver­sal­iste et, pour ce faire, il est pri­mor­dial de sor­tir défini­tive­ment du cadre étriqué et suran­né de l’Eu­rope char­nelle et enracinée.

On com­prend mieux dès lors pourquoi les fron­tières ultimes du pro­jet brux­el­lois n’ont jamais été définies. Pour les européistes, qui ne con­stru­isent pas l’Eu­rope, il n’y a en effet pas de lim­ite à l’ex­ten­sion de l’U­nion. Après l’en­trée de la Turquie, ils envis­agent déjà le cas du Maroc et de la Tunisie. L’an­cien secré­taire d’É­tat améri­cain Col­in Pow­ell, qui, comme beau­coup d’Améri­cains, aime bien par­ler pour les Européens, est même allé jusqu’à van­ter les mérites du Kirghizis­tan comme can­di­dat à l’U­nion. Et, dans son esprit, il n’y a là rien d’ab­surde puisque le Kirghizis­tan, bien que situé au fin fond du con­ti­nent asi­a­tique, est devenu une démoc­ra­tie et abrite même une base mil­i­taire américaine !

Il appa­raît donc claire­ment que cette con­struc­tion pré­ten­du­ment européenne n’a rien d’eu­ropéen. Elle ne sert pas l’Eu­rope et ne mène pas à l’Eu­rope. Il ne s’ag­it pas, en effet, d’a­bat­tre les nations pour ériger une super-nation, mais de détru­ire les États afin de les inté­gr­er à un ensem­ble voué lui-même à se diluer dans le reste du monde. L’Eu­rope de Brux­elles est une machine à dis­soudre : c’est là que se situe sans doute la source de toutes les con­fu­sions et de tous les erre­ments de ces dernières années. L’un des mots d’or­dre les plus puis­sants de la vie poli­tique se révèle men­songer car la con­struc­tion européenne ne con­stru­it pas l’Europe.

Les insti­tu­tions brux­el­lois­es mènent en réal­ité un pro­jet mon­di­al­iste dont l’Eu­rope n’est, dans cette per­spec­tive, qu’un sup­port, voire un pré­texte. Et comme les peu­ples européens ne parta­gent pas cette vision, on ne l’ex­prime pas, on la laisse à l’ar­rière-plan. Elle n’est pas, à pro­pre­ment par­ler, dis­simulée, elle reste sim­ple­ment implicite. Il n’y a pas de men­songes, il y a des non-dits. Mais, n’est-ce pas pour cela, n’est-ce pas parce qu’ils ne peu­vent pas affirmer ouverte­ment leurs inten­tions, que les respon­s­ables brux­el­lois avan­cent à petits pas, traité après traité, si pos­si­ble avec des textes incom­préhen­si­bles pour le grand pub­lic ? Com­ment, sinon, obtenir des peu­ples un blanc-seing démoc­ra­tique pour un pro­jet qu’ils n’ap­prou­veraient pas s’il leur était claire­ment expliqué ? Toute l’en­tre­prise brux­el­loise s’est ain­si bâtie peu à peu, dans une com­plex­ité et une pro­gres­siv­ité délibérée, afin de con­tourn­er les peu­ples et d’a­gir sans leur sou­tien mais, si pos­si­ble, avec leurs votes.

Com­ment, dans ces con­di­tions, s’é­ton­ner que Français et Européens man­i­fes­tent si peu d’en­t­hou­si­asme pour les mani­gances des européistes ? Même s’ils n’ont pas entière­ment saisi de quoi il s’ag­it, ils ont par­faite­ment com­pris que ce plan ne cor­re­spond pas à ce qu’ils souhait­ent. Et ils n’hési­tent d’ailleurs pas à le faire savoir quand l’oc­ca­sion leur en est fournie, comme ce fut le cas pour les Français et les Néer­landais lors du référen­dum sur la con­sti­tu­tion européenne.

Para­doxale­ment, c’est donc au nom de l’Eu­rope qu’il faut remet­tre en ques­tion l’en­tre­prise brux­el­loise. Celle-ci est une idée fausse et même une tromperie car elle ne sert nulle­ment l’in­térêt des Européens. Elle pour­suit la chimère d’un monde glob­al­isé dont l’Eu­rope serait l’a­vant-garde et le mod­èle. Elle ne cherche pas à défendre l’i­den­tité de notre civil­i­sa­tion ni à ren­forcer la puis­sance de notre con­ti­nent. Son but est d’éd­i­fi­er, dans le dos des peu­ples, une entité pure­ment idéologique et juridique.
Les Européens n’ont rien à atten­dre d’un pro­jet qui n’est pas conçu pour eux. Il n’y a pas d’avenir sous le soleil gris de Bruxelles.

1. Élie Bar­navi, Le Point, 5 jan­vi­er 2006.

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