L’autre scénario. Chapitre 14 : La France en tête

22 juin 2020

Temps de lecture : 10 minutes

Fondée par la force et le sacré, elle est la plus anci­enne en Europe. Elle a forgé sa puis­sance en réal­isant son unité, mais elle tire sa richesse de sa diver­sité. Elle a con­nu tous les régimes, mais c’est le même génie qui l’a portée. Elle s’est con­stru­ite autour de l’É­tat sou­verain, mais aujour­d’hui sa sou­veraineté part en morceaux et son État dégénère en bureau­cratie. Sa langue et son armée ont dom­iné l’Eu­rope et une par­tie du monde, mais elle ne défend plus sa langue et son armée ne pour­rait plus la défendre. Elle a été imprégnée de reli­gion puis de laïc­ité, mais, de nos jours, l’une et l’autre sont men­acées. Elle a tou­jours con­sti­tué une excep­tion, mais elle ignore aujour­d’hui l’ex­cel­lence. Elle a vécu des jours de gloire, des péri­odes de déclin et, au bord du gouf­fre, elle a tou­jours su se res­saisir. Elle a renon­cé à la grandeur, mais elle en a con­servé le goût. Elle paraît dimin­uée, mais elle pour­rait sur­pren­dre. On lui dit qu’il est trop tard, mais, avec elle, tout demeure tou­jours possible.

Elle est la France, notre nation, qui nous a tant apporté et nous est encore si néces­saire, mais qui, aujour­d’hui, doute, se recro­queville, cul­pa­bilise et se mor­ti­fie, pénalise ses tal­ents, entrave ses ini­tia­tives et renonce à ses ambi­tions. La France, pour­tant si riche de son sol, de sa cul­ture et de son peu­ple, la France, qui nous a légué un héritage de civil­i­sa­tion incom­pa­ra­ble et qui, à tra­vers ses rois, ses empereurs et ses républiques, a tou­jours réus­si à trou­ver son chemin, la France à laque­lle nous croyons, peut, aujour­d’hui encore, rompre avec les évo­lu­tions délétères qui l’in­hibent et jouer un rôle essen­tiel en Europe.

Notre pays, pour peu qu’il assure son redresse­ment intérieur, peut en effet s’im­pos­er comme la pre­mière des puis­sances européennes. Mais, au-delà, il a voca­tion, j’en suis con­va­in­cu, à jouer un grand rôle au ser­vice du con­ti­nent tout entier. Car l’Eu­rope a besoin de la France : pour assur­er sa renais­sance et retrou­ver col­lec­tive­ment son iden­tité, son indépen­dance et sa puis­sance, notre con­ti­nent doit pou­voir compter sur une nation fédéra­trice. Une nation qui puisse incar­n­er le pro­jet de cette Europe nou­velle, lui don­ner vie et mobilis­er les forces néces­saires à sa mise en œuvre. Or, qui mieux que la France pour­rait rem­plir cette mis­sion essentielle ?

Notre nation con­stitue en effet une syn­thèse de l’Eu­rope. Baignée par toutes les mers et ouverte sur la plaine nord-européenne, à la fois mar­itime et con­ti­nen­tale, elle est au cœur géo­graphique de notre con­ti­nent. Réal­isant en son sein l’u­nion de l’Eu­rope du Nord et du Sud, des influ­ences latines, celtes et ger­maniques, elle con­stitue comme un con­den­sé cul­turel et eth­nique de l’Eu­rope. Elle en est la quintessence.

D’ailleurs, lequel des autres grands pays européens serait-il mieux placé que la France pour jouer ce rôle d’ini­ti­a­teur et d’an­i­ma­teur ? L’Es­pagne, l’I­tal­ie, la Pologne ? Elles occu­pent une posi­tion trop périphérique par rap­port au con­ti­nent ! La Grande-Bre­tagne ? Elle est trop mar­itime et par ailleurs beau­coup trop liée aux états-Unis. L’Alle­magne ? Elle demeure encore trop mar­quée par son passé du siè­cle dernier. Reste notre nation, qui pos­sède tou­jours des tra­di­tions d’indépen­dance et de puis­sance que l’Eu­rope devrait s’approprier.

La France en retour a besoin de l’Eu­rope : elle n’a pas la taille suff­isante pour s’im­pos­er dans le monde de demain. Elle ne dis­pose pas d’une pop­u­la­tion assez nom­breuse et d’une économie assez puis­sante pour agir et peser seule. Isolée, elle ne pour­rait plus rede­venir une nation de pre­mier plan à l’échelle de la planète.

Il est certes des petit pays qui vivent très bien tout seuls en offrant à leurs peu­ples la sécu­rité et la prospérité. Pour autant, rares sont ceux qui, comme la Con­fédéra­tion helvé­tique, ont trou­vé une voie poli­tique et économique leur appor­tant à la fois la paix et la richesse. La plu­part d’en­tre eux con­nais­sent la mis­ère ou vivent sous la tutelle d’une grande puissance.

Au demeu­rant, la France ne peut nulle­ment rêver d’un des­tin à la Suisse. Avec le poids poli­tique et économique qui est encore le sien, com­ment notre pays pour­rait-il rester en marge des grands enjeux géopoli­tiques et se met­tre entre par­en­thès­es pour vivre, heureux et caché, à l’é­cart du monde ? En rai­son du rôle qu’il a joué dans l’his­toire, notre peu­ple ne peut se con­damn­er à la mar­gin­al­ité, car il prendrait alors le risque de dépérir, comme il a d’ailleurs com­mencé à le faire. Il n’y a donc pas d’avenir pour la France dans le mod­èle suisse.

Notre nation ne peut échap­per à elle-même et doit donc se tourn­er vers l’Eu­rope. Pour assur­er son avenir et porter le grand pro­jet qui devrait être le sien, il lui faut cette alliance féconde et enrac­inée avec les autres nations du con­ti­nent. Aus­si, j’en suis con­va­in­cu, le des­tin de la France et celui de l’Eu­rope sont-ils aujour­d’hui étroite­ment liés. L’une a besoin de l’autre pour con­tin­uer à exis­ter et la sec­onde a besoin de la pre­mière pour recom­mencer à ray­on­ner. La France, privée de l’Eu­rope, deviendrait une nation sans lus­tre et sans avenir, et l’Eu­rope, privée de la France, se réduirait à un mag­ma sans iden­tité et sans puissance.

Notre pays doit donc faire le choix de l’Eu­rope, non pas l’Eu­rope de Brux­elles syn­onyme pour les Français de con­traintes, de dilu­tion et de soumis­sion et dont ils ne veu­lent plus, mais l’Eu­rope nou­velle, celle qui doit s’im­pos­er comme la pre­mière puis­sance mon­di­ale. Ce grand pro­jet d’une Europe européenne, indépen­dante et puis­sante, la France doit accepter la respon­s­abil­ité his­torique de le faire aboutir. Elle doit en être le moteur.

Aus­si faut-il qu’elle incar­ne cette volon­té de renou­veau européen, qu’elle l’ex­plicite et le pop­u­larise. Jusqu’à présent, l’Eu­rope a pâti de n’être qu’une entre­prise con­fuse, sans final­ité claire et com­préhen­si­ble pour les peu­ples. Que notre nation prenne donc l’ini­tia­tive de don­ner corps à cette autre vision de l’Eu­rope, qu’elle s’en fasse l’av­o­cat auprès des autres gou­verne­ments, qu’elle l’ex­plique aux pop­u­la­tions du con­ti­nent et qu’elle pro­pose aux uns et aux autres une stratégie claire pour faire aboutir ce projet !

Certes, la France ne peut pas con­stru­ire cette Europe toute seule et, dans le cadre des struc­tures brux­el­lois­es, elle ne pour­ra jamais impos­er ses vues à ses vingt-qua­tre parte­naires. C’est pourquoi notre pays doit faire le choix d’une démarche non insti­tu­tion­nelle. Aujour­d’hui, les européistes, obnu­bilés par leur vision juridique, con­sid­èrent que l’Eu­rope existe à la mesure de ses insti­tu­tions et de ses textes nor­mat­ifs. Aus­si leurs efforts visent-ils à aller tou­jours plus loin dans cette voie. Pour­tant, rien de tout cela n’ap­porte à notre con­ti­nent la force et l’indépen­dance qui lui manquent.

Notre nation devrait donc pouss­er l’Eu­rope à chang­er rad­i­cale­ment d’ori­en­ta­tion. L’inciter à ne plus revenir sans cesse sur les règle­ments et les traités européens pour amender, com­pléter et générale­ment com­plex­i­fi­er les textes précé­dents dans le cadre de négo­ci­a­tions inter­minables qui débouchent trop sou­vent sur de mau­vais com­pro­mis ou sur des pis-aller. L’en­gager à priv­ilégi­er plutôt des pro­jets con­crets sus­cep­ti­bles d’ap­porter aux Européens de l’indépen­dance ou de la puis­sance. Le pro­jet Galileo con­stitue un exem­ple, certes impar­fait, de ce qui est utile à notre con­ti­nent. En lançant ce pro­gramme ambitieux de posi­tion­nement par satel­lite con­cur­rent du sys­tème améri­cain GPS, l’Eu­rope ren­force son poten­tiel indus­triel et tech­nologique et affirme une cer­taine autonomie face aux états-Unis, même si elle n’est pas allée jusqu’à en faire un out­il stratégique util­is­able à des fins militaires.

Nous devri­ons mul­ti­pli­er ces pro­grammes et les dévelop­per avec plus d’au­dace au ser­vice de la puis­sance européenne. Car l’im­por­tant réside dans l’indépen­dance qu’ils appor­tent et non dans la manière dont ils sont mis en œuvre. Peu importe qu’ils trou­vent ou non leur place dans les struc­tures brux­el­lois­es, peu importe qu’ils rassem­blent tout ou par­tie des pays mem­bres de l’U­nion, l’essen­tiel est que, sur les ques­tions stratégiques que représen­tent la défense, l’in­dus­trie, la sci­ence et la mon­naie, l’Eu­rope s’au­tonomise, se ren­force et s’impose.

Pour aller plus loin dans cette voie, la France devrait rompre avec les pra­tiques rigides et jacobines de Brux­elles et lancer le principe d’une Europe à la carte, organ­isée, pro­jet par pro­jet, avec un nom­bre lim­ité de nations. Aujour­d’hui, dans la majorité des cas, l’Eu­rope s’en­gage dans une action d’en­ver­gure si tous les pays mem­bres de l’U­nion don­nent leur accord et si la Com­mis­sion en accepte l’idée et en prend l’ini­tia­tive. La procé­dure se révèle d’une lour­deur con­sid­érable et donne de sur­croît un poids exces­sif aux euro­crates de Brux­elles, lesquels ne se préoc­cu­pent jamais ni de puis­sance ni d’indépendance.

Il s’ag­it, là encore, de chang­er d’ap­proche et de dévelop­per, en dehors des struc­tures brux­el­lois­es, des coopéra­tions prag­ma­tiques avec les seuls pays qui ont les com­pé­tences et la moti­va­tion néces­saires. Cette tech­nique a d’ailleurs déjà été mise en œuvre notam­ment pour l’A­gence spa­tiale européenne : toutes les nations mem­bres de l’U­nion ne s’y sont pas engagées, seules celles qui y trou­vaient leur intérêt s’y sont investies. Un diplo­mate, habitué des négo­ci­a­tions brux­el­lois­es, me con­fir­mait l’in­térêt de cette démarche : « À vingt-cinq, cela devient d’une lour­deur insup­port­able. Chaque fois qu’on peut réduire le nom­bre des négo­ci­a­teurs, on est gag­nant. Même si, pour cela, il faut sor­tir du cadre des traités. »

Pour avancer dans la con­sti­tu­tion d’une puis­sance mil­i­taire européenne, la France pour­rait ain­si pren­dre l’ini­tia­tive de créer une alliance ambitieuse avec un petit nom­bre de nations voisines comme l’Alle­magne et l’I­tal­ie. Si ce groupe de pays acquérait la capac­ité de mobilis­er des forces opéra­tionnelles en quan­tités bien supérieures à ce que peu­vent faire les Bri­tan­niques, actuelle­ment les plus per­for­mants dans ce domaine, il com­mencerait à impos­er l’im­age d’une Europe qui n’est pas un nain mil­i­taire et créerait auprès des autres mem­bres de l’U­nion le désir de les rejoindre.

La méth­ode se révèle d’une grande effi­cac­ité. Pour mon­ter pareille alliance, il suf­fit en effet que les pays fon­da­teurs définis­sent ensem­ble les struc­tures à met­tre en place, ce qui est rel­a­tive­ment aisé s’ils ne sont que trois. Ensuite, les autres nations, lorsqu’elles le veu­lent, vien­nent s’a­gréger au pre­mier cer­cle ain­si con­sti­tué sans avoir cepen­dant la pos­si­bil­ité de remet­tre en cause ce qui a déjà été réal­isé. En fin de course, on peut donc dis­pos­er d’une alliance mil­i­taire forte de vingt-cinq mem­bres sans qu’il ait été néces­saire, lors de sa créa­tion, d’obtenir un accord unanime de l’ensem­ble de ces États.

La France devrait s’ef­forcer de généralis­er cette méth­ode de coopéra­tion sur tous les sujets qui con­cer­nent la puis­sance et l’indépen­dance de l’Eu­rope. Elle pour­rait ain­si, en mul­ti­pli­ant les ini­tia­tives en ce sens, occu­per une posi­tion stratégique, au cen­tre de tous les cer­cles de coopération.

Je souhaite d’ailleurs que notre pays pousse plus loin encore cette démarche prag­ma­tique et opère un troisième choix stratégique, celui de con­stituer un noy­au cen­tral de quelques pays européens, afin de créer, autour de son pro­jet d’Eu­rope puis­sance, un pre­mier cer­cle capa­ble, par sa cohé­sion et sa déter­mi­na­tion, d’en­traîn­er l’ensem­ble du con­ti­nent. L’U­nion européenne appa­raît aujour­d’hui diluée et impuis­sante en rai­son des mau­vais­es ori­en­ta­tions qu’elle a pris­es, mais aus­si du fait qu’elle rassem­ble main­tenant un nom­bre impor­tant d’É­tats dont les intérêts et les per­spec­tives sont sou­vent trop diver­gents. Or, les struc­tures brux­el­lois­es n’in­ter­dis­ent nulle­ment que cer­tains pays créent entre eux des liens priv­ilégiés de nature plus poli­tique. Notre pays pour­rait donc œuvr­er à la con­sti­tu­tion d’un tel noy­au dur, for­mé par exem­ple des six pays fon­da­teurs, en tout cas des trois plus impor­tants, l’I­tal­ie, l’Alle­magne et la France.

La mise en place d’un pareil ensem­ble, dont le ter­ri­toire cor­re­spond peu ou prou à l’an­cien empire car­olingien, c’est-à-dire au pre­mier empire européen, pour­rait chang­er la nature de la con­struc­tion brux­el­loise. Pour peu en effet qu’ils parta­gent la même vision de l’avenir du con­ti­nent, les pays mem­bres de ce noy­au cen­tral pour­raient dévelop­per, avec légitim­ité et effi­cac­ité, des ini­tia­tives extra-brux­el­lois­es inspirées du mod­èle des cer­cles de coopération.

Une ini­tia­tive de cette nature, rassem­blant des nations proches, capa­bles de porter un pro­jet com­mun et de par­ler d’une même voix, pour­rait par ailleurs peser de façon béné­fique sur les déci­sions brux­el­lois­es. Si, en effet, ces États votaient sys­té­ma­tique­ment dans le même sens au sein des instances de l’U­nion, ils dis­poseraient d’un nom­bre de voix suff­isant pour influer de façon déter­mi­nante sur la marche de l’Eu­rope. Et comme ces ini­tia­tives et ces votes con­cour­raient tous au même pro­jet, celui d’une Europe européenne, indépen­dante et puis­sante, c’est l’U­nion dans son ensem­ble qui serait ain­si pro­gres­sive­ment amenée dans cette voie.

Certes, une telle démarche a déjà été esquis­sée par le cou­ple fran­co-alle­mand. Les deux nations, autre­fois enne­mies, se sont rap­prochées et, à maintes repris­es au cours des dernières décen­nies, ont fait front com­mun au sein des insti­tu­tions européennes. Pour­tant, comme me le fai­sait observ­er un député alle­mand au par­lement européen, plutôt fran­cophile mais pass­able­ment agacé par la ren­gaine médi­a­tique sur ce sujet, « le prob­lème avec le cou­ple fran­co-alle­mand, c’est que son union est pla­tonique. À moins que l’un ou l’autre des parte­naires ne soit stérile… ».

Com­ment ne pas partager l’opin­ion de notre voisin d’outre-Rhin quand on sait que, passé la réc­on­cil­i­a­tion de l’après-guerre, cette coopéra­tion priv­ilégiée n’a rien engen­dré ? L’ami­tié fran­co-alle­mande a certes servi de sym­bole au retour de la paix en Europe, mais, en dehors de la défense d’in­térêts com­muns aux deux pays, elle n’a été por­teuse d’au­cun pro­jet, d’au­cune vision, d’au­cune ini­tia­tive d’en­ver­gure pour l’Europe.

Il est temps de renou­vel­er les bases de cette entente, quitte à l’ou­vrir à d’autres pays pour con­stituer ce noy­au cen­tral dont je suis con­va­in­cu qu’il pour­rait struc­tur­er et réori­en­ter la con­struc­tion européenne, lui don­ner l’axe, les per­spec­tives et l’e­sprit qui lui man­quent actuellement.

En réal­ité, comme toute com­mu­nauté, la com­mu­nauté des nations d’Eu­rope ne peut pas fonc­tion­ner sans un chef de file qui ouvre le chemin. Et seule la con­sti­tu­tion de ce petit groupe de pays, sans lequel notre con­ti­nent restera ce mag­ma mou et immo­bile qu’il est actuelle­ment, peut faire de l’Eu­rope une puis­sance struc­turée et cohérente capa­ble d’a­vancer et d’agir.

Une telle entre­prise risque de sus­citer des oppo­si­tions ou des agace­ments au sein de l’U­nion. La Grande-Bre­tagne, par exem­ple, opposera au pro­jet européen de la France sa pro­pre con­cep­tion d’une Europe atlantiste pure­ment économique. De même, les pays de l’e­space danu­bi­en ou bal­tique, et tout par­ti­c­ulière­ment ceux qui ont con­nu le joug de l’URSS, peu­vent être ten­tés de rechercher out­re-Atlan­tique un con­tre­poids à une préémi­nence fran­co-alle­mande. Beau­coup d’en­tre eux, encore mar­qués par la péri­ode sovié­tique, trou­vent en effet auprès des États-Unis une force pro­tec­trice que l’Eu­rope brux­el­loise ne leur assure pas aujour­d’hui. Mais on peut penser que le pro­jet d’une Europe puis­sance, aux fron­tières claire­ment fixées à l’orée du monde russe, devrait pro­gres­sive­ment les rassurer.

Encore faut-il que la France et les nations du noy­au cen­tral tis­sent des liens priv­ilégiés avec cer­tains pays du Danube et de la Bal­tique afin d’éviter la frag­men­ta­tion géopoli­tique de l’Eu­rope. Pareil rap­proche­ment est pos­si­ble car il existe de solides tra­di­tions d’ami­tié entre notre pays et cer­taines nations d’Eu­rope ori­en­tale, comme la Pologne ou la Ser­bie. Mal­heureuse­ment, aucun gou­verne­ment français n’a cher­ché à raviv­er ces sen­ti­ments ances­traux. Il est frap­pant à cet égard qu’en 2004 la France ait don­né aux célébra­tions pour l’en­trée dans l’U­nion des pays de l’Est européen un relief bien moin­dre que pour l’an­née de la Chine. Et beau­coup, à l’est, le déplorent. « Nous avons été déçus par la France, me reprochait un député polon­ais lors d’une vis­ite à Varso­vie. La seule fois que vous avez man­i­festé de l’in­térêt pour notre pays, ça a été lors de votre référen­dum sur la con­sti­tu­tion européenne quand vous avez accusé le plom­bier polon­ais de détru­ire vos emplois. On espérait autre chose ! » Et il avait rai­son, la France doit en effet s’ab­straire de ses préoc­cu­pa­tions exclu­sive­ment hexag­o­nales et dévelop­per une vision géopoli­tique du continent.

Au-delà, il est clair que l’Eu­rope nou­velle ne pour­ra pas émerg­er avec la Grande-Bre­tagne en son sein, ni avec aucun pays adepte de l’at­lantisme. Il fau­dra donc avancer sans eux et amal­gamer pro­gres­sive­ment au noy­au cen­tral un nom­bre crois­sant de pays. Lorsque ce groupe aura atteint une masse géopoli­tique suff­isante, les États encore hos­tiles au pro­jet d’Eu­rope puis­sance ne pour­ront plus que se ral­li­er ou se marginaliser.

Il existe donc une voie pour ren­dre à notre con­ti­nent son iden­tité, son indépen­dance et sa puis­sance, sans pour autant détru­ire les entités nationales qui le com­posent. Et c’est à la France de s’y engager et d’en­traîn­er avec elle les autres nations.

Aujour­d’hui, les respon­s­ables poli­tiques français, même s’ils veu­lent don­ner le sen­ti­ment de défendre les intérêts de notre pays, cherchent surtout à appa­raître comme les bons élèves de la classe européenne. Ce faisant, ils se met­tent à la remorque de la Com­mis­sion de Brux­elles, se bor­nant à réa­gir à ses propo­si­tions pour générale­ment les accepter avec une assez grande docil­ité. Je pro­pose que notre pays mod­i­fie pro­fondé­ment son atti­tude et qu’au lieu de suiv­re ou de subir, de con­tester ou d’ac­cepter, il ouvre une voie, il porte un pro­jet, il pro­pose, il entraîne et il rassemble.

En s’érigeant en moteur de l’Eu­rope puis­sance, la France devien­dra en quelque sorte le porte-dra­peau d’un grand pro­jet qui la plac­era en tête et lui ren­dra, comme à notre con­ti­nent, tout son poids et tout son prestige.
Et si la France créait l’Europe ?

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