De l’autosuffisance alimentaire aux dégâts du productivisme

5 décembre 2009

Temps de lecture : 7 minutes

Conseil national. Pont de Sèvres (92) – 05/12/09 – Discours de Bernard Bres

Aujour­d’hui, du poulet en bat­terie au cochon indus­triel notre ali­men­ta­tion est de plus en plus stan­dard­is­ée, asep­tisée, au goût uni­forme et com­porte des risques pour l’Homme. Nous sommes, désor­mais, sous l’hégé­monie des transna­tionales ali­men­taires et liés au sys­tème pro­duc­tiviste qui men­ace notre envi­ron­nement et les consommateurs.

Com­ment en est-on arrivé là et que faire pour un salu­taire retour aux pro­duits du terroir ?

Reprenons le fil des événe­ments des 50 dernières années pour mieux comprendre.

1) les années 1945–58. En 1945, la France était encore rurale (10 mil­lions d’a­gricul­teurs ou plutôt de paysans. Aujour­d’hui, ils ne sont guère plus d’1 mil­lion soit 4% de la pop­u­la­tion et 10% des act­ifs) et les tra­di­tions bien ancrées mais il fal­lait recon­stru­ire et dévelop­per notre agri­cul­ture pour pro­duire plus afin de sat­is­faire nos besoins ali­men­taires. A l’époque la France agri­cole est faite de petites exploita­tions non mécan­isées, de sur­faces non remem­brées (par­cel­laires). La France con­nait encore les cartes d’alimentation.

Le véri­ta­ble tour­nant se pro­duit en 1957 avec le Marché Com­mun mais dans le cadre du Plan Mar­shall ce qui per­me­t­tait aux USA l’en­trée mas­sive en Europe du maïs et du soja sans droits de douane. Les pro­duc­teurs se pré­cip­itèrent sur ces plantes « mir­a­cles » venues d’ailleurs !

Dès lors, va pré­domin­er l’idéolo­gie tay­lo­ri­enne et fordiste c’est-à-dire l’in­dus­tri­al­i­sa­tion de l’a­gri­cul­ture (ex. éle­vage hors sol) avec des sou­tiens dans les milieux agricoles.

Il con­vient de sig­naler, toute­fois, dans les années 50, l’op­po­si­tion de la JAC (jeunesse agri­cole chré­ti­enne) con­tre les con­ser­va­teurs et les com­mu­nistes. Elle voulait rompre avec l’im­age du « cul-ter­reux » et du « plouc » tout en mod­ernisant l’a­gri­cul­ture : son sym­bole était à côté de la ferme la mai­son indi­vidu­elle du jeune cou­ple. Mais ils se heurtèrent à la puis­sante FNSEA où s’é­taient recon­ver­tis beau­coup de cor­po­ratistes vichystes. Ce syn­di­cat qui se voulait unique fut très vite sous con­trôle des plus rich­es (céréaliers, bet­ter­aviers). Il devint un groupe de pres­sion insti­tu­tion­nel avec l’ac­cord des gou­verne­ments. Il allait gér­er avec les cham­bres d’a­gri­cul­tures et le Crédit agri­cole toute la poli­tique de ce secteur. Ain­si la SAFER, organ­isme par­i­taire de fonc­tion­naires et de paysans pos­sé­dait la main­mise sur la rétro­ces­sion des ter­res ; résul­tat 60% des exploita­tions de moins de 20 hectares allaient dis­paraître entre 1967 et 97 et celles de plus de 50 hectares seraient mul­ti­pliées par deux. Le mécan­isme de la mod­erni­sa­tion était enclenché selon le trip­tyque : aide, endet­te­ment, exode rur­al (la fameuse « diag­o­nale du vide » de la Meuse aux Lan­des : 30 hab/km2). À la fin des années 70, la FNSEA devint la grande prêtresse du pro­duc­tivisme mal­gré quelques résis­tances (comme le MODEF communiste).

2) Les années 60–70. Elles voient le tri­om­phe de la logique pro­duc­tiviste et même de la sur­pro­duc­tion. Les objec­tifs fixés étaient les suivants :

  • autonomie ali­men­taire en France et en Europe ;
  • pro­duire des den­rées au plus bas prix, pro­téger de la con­cur­rence cer­tains pro­duits (vins, sucre, lait et viandes…) ;
  • assur­er aux agricul­teurs la par­ité des revenus avec les salariés citadins. C’était la PAC (poli­tique agri­cole com­mune) soutenue par le lob­by puis­sant des céréaliers et betteraviers.

Cela impli­quait :

  • la spé­cial­i­sa­tion de la pro­duc­tion con­traire à l’au­tonomie procurée par la polyculture ;
  • une agri­cul­ture inten­sive avec une mécan­i­sa­tion de plus en plus chère et con­som­ma­trice d’én­ergie fos­sile non renouvelable.

C’é­tait la course à la rentabil­ité. Le savoir faire ances­tral était nié, la nature se pli­ant aux machines (par­celles remem­brées, haies arasées, fos­sés comblés) d’où l’éro­sion des sols, la couche d’hu­mus dimin­uée, la faune et la flo­re atteintes, l’é­cosys­tème affecté.
C’é­tait la dis­pari­tion des races rus­tiques cédant la place à celles spé­cial­isées géné­tique­ment (mais les vach­es laitières tra­di­tion­nelles vivaient plus de 10 ans, les autres moins de 5 ans).

Le CA avec ses prêts et les firmes agro-ali­men­taires inci­taient à adhér­er à cette poli­tique avec pour con­séquences : un investisse­ment spé­cial­isé, l’en­det­te­ment, la restruc­tura­tion, la pro­lé­tari­sa­tion des petits paysans. Dès lors, il faut tou­jours pro­duire plus pour pay­er ses dettes. Dans les années 70, on assiste à une crise de sur­pro­duc­tion et au dépe­u­ple­ment des campagnes.

3) Les années 70–80. On passe de la sur­pro­duc­tion au pro­duc­tivisme. L’Eu­rope croule sous les excé­dents (mon­tagnes de beurre, de lait, de céréales et de vian­des bovines) et les frais de stock­age mais le sys­tème infer­nal : maïs, soja, béton (pour l’él­e­vage) per­dure. Le CA devient la 1ère banque d’Eu­rope et finance 80 % des paysans. D’où une fuite en avant favorisée par le tour­nant libéral d’ou­ver­ture aux marchés. Notons que depuis les années 60, l’au­to­suff­i­sance ali­men­taire est atteinte. Après le choc pétroli­er de 1973, Gis­card par­le de « l’a­gri­cul­ture pét­role vert de la France » (la PAC sub­ven­tionne les expor­ta­tions). Le poids des fil­ières agroal­i­men­taires, des indus­tries, des coopéra­tives agri­coles et celui de la grande dis­tri­b­u­tion (qui impose ses prix aux paysans) pèsent de plus en plus. C’est le début de la con­som­ma­tion de masse et de la mal­bouffe dont Mac Do est le sym­bole mais aus­si des risques ali­men­taires mas­sifs pour les con­som­ma­teurs et les paysans eux-mêmes. Les dégâts causés par les cul­tures inten­sives sont graves : il faut de plus en plus d’en­grais, de pes­ti­cides (la France est le 2ème con­som­ma­teur mon­di­al après les USA, le 1er en Europe), de pro­duits phy­tosan­i­taires con­tre des par­a­sites résis­tants et d’eau pour la cul­ture du maïs. Celle-ci est pol­luée par les nitrates, les sols aus­si et les paysages sont dégradés…

Autres abér­ra­tions : le dopage util­isé dans l’él­e­vage, les vach­es nour­ries aux farines de mou­tons, avec des résidus de fos­s­es sep­tiques ; on a recours aux antibi­o­tiques, aux amélio­ra­tions géné­tiques. L’él­e­vage hors sol, en bat­terie, est un univers con­cen­tra­tionnaire, les mal­adies infec­tieuses s’y dévelop­pent (traitées aux antibio) avec des inci­dences sur l’homme. Un tel éle­vage pro­duit des races amor­phes et dénaturées. Il faut savoir qu’un Français con­somme 1,5 kg par an de pro­duits chim­iques, de col­orants, de résidus d’en­grais et de pesticides.

4) L’im­pos­si­ble réforme dans le cadre du néo-libéral­isme 1980 / années 2000
Les suc­cès du pro­duc­tivisme sont mis en exer­gue. Dans le cadre de la PAC, la France est dev­enue le 1er pro­duc­teur de l’UE, le 2ème expor­ta­teur mon­di­al de pro­duits agri­coles, sa bal­ance com­mer­ciale con­nait, par ex. en 2002, un excé­dent de 9 mil­liards d’eu­ros, presque autant que le secteur de l’au­to­mo­bile ou que celui de l’aéro­nau­tique. Toute­fois, la moitié des sub­ven­tions sont ver­sées à 5 % des exploitants agri­coles, sou­vent les plus rich­es. Quelques chiffres encore : la pro­duc­tion de blé a été X par 3 en 40 ans, celle de porc par 2, celle du maïs par 13 ; de 1950 à 1980, la pro­duc­tion agri­cole a été X par 7 mais il y a 10 fois moins d’agriculteurs.

Cepen­dant, un revire­ment appar­ent se fait jour. Désor­mais la CCE demande de préserv­er les paysages : retour aux pâturages, aux haies brise-vent mais tou­jours per­dure la logique agri­cole libérale au moyen d’aides directes com­pen­satri­ces de revenus (céréales, bovins). Cer­tains secteurs sont délais­sés : porc, volailles, fruits, légumes et vins et voués à la con­cur­rence et au « dégrais­sage », con­séquence du sys­tème de libre échange dérégulé (en 3 ans, 6 mil­lions de ter­res cul­tivables ont dis­paru dans le monde d’où déser­ti­fi­ca­tion et 800 mil­lions de per­son­nes souf­frent de mal­nu­tri­tion). En Occi­dent les scan­dales se mul­ti­plient : vach­es « folles » à cause des farines dou­teuses, idem pour les pois­sons d’él­e­vage ou le poulet à la diox­ine ou l’eau minérale pol­luée au ben­zène … Aujour­d’hui, on ne cul­tive plus en fonc­tion du ciel et de la terre mais pour maitris­er la Nature (ex. l’hy­dro­ponie pour le maraichage : la plante est séparée de la terre, les sucs nutri­tifs sont ver­sés directe­ment sur les racines). C’est la fin de l’a­gri­cul­ture de sub­sis­tance et d’une civil­i­sa­tion mil­lé­naire (déjà Hen­ri Men­dras en 1967 avait pub­lié La Fin des Paysans). Le Maréchal Pétain dis­ait en 1940 : « la terre, elle, ne ment pas . Elle demeure notre recours, Elle est la patrie elle-même. Un champ qui tombe en friche c’est une por­tion de la France qui meurt. Une jachère à nou­veau emblavée c’est une por­tion de la France qui renait ». Ce temps paraît aus­si loin­tain que le par­adis perdu.

Alors que faire ? Nous devons récuser cette mal­bouffe apa­tride venue de nulle part à base de col­orants, de con­ser­va­teurs, de sta­bil­isa­teurs, de pro­duits retenant l’eau. Tout ceci est le résul­tat de la logique finan­cière néo-libérale et du mon­di­al­isme qui con­duisent au pro­duc­tivisme incontrôlé.

5) Les solu­tions du MNR : aujour­d’hui la PAC con­traint la France à réduire ses pro­duc­tions (quo­tas) et à aug­menter ses impor­ta­tions (via les USA) d’où un état de dépen­dance inac­cept­able. Il faut en sor­tir et sauver l’ac­tiv­ité agri­cole. La pop­u­la­tion vieil­lit comme celle des marins pêcheurs dont la moyenne d’âge est de 50 ans. Pour 4 départs à la retraite, il y a une seule instal­la­tion, beau­coup de céli­bataires et 38 % des paysans ont un revenu inférieur au SMIC. Nous avons 700 000 exploita­tions pour 1 mil­lion d’ac­t­ifs à temps plein (pour la pêche 25 OOO, soit moins 10 % en 10 ans). Les prix sont alignés sur le marché mon­di­al et livrés à la spécu­la­tion ; quant aux sacro-saintes sub­ven­tions, elles peu­vent être sup­primées par Brux­elles (ex. actuel du vin). Le sys­tème génère iné­gal­ités, servi­tudes et dis­pari­tion des paysans. De nos jours, les capac­ités agraires suff­isent à notre sécu­rité ali­men­taire. Nous devons :

  • opter pour la préférence européenne et rétablir une pro­tec­tion douanière pour cer­tains produits
  • garan­tir un revenu équitable aux agricul­teurs (avec des prix min­i­mum garan­tis en sou­tenant les cours si nécessaire
  • reval­oris­er les retraites agri­coles trop faibles
  • réduire les charges fis­cales, sociales et successorales
  • envis­ager un mora­toire pour l’en­det­te­ment afin de sauver cer­taines exploitations
  • desser­rer le car­can de la bureaucratie
  • prévoir une loi anti-trusts con­tre les cen­trales d’achats et la grande dis­tri­b­u­tion qui dictent leurs lois
  • met­tre fin aux monopoles pour les semences et les inséminations
  • dévelop­per la pluri-activ­ité pour les petits paysans et la plu­ral­ité syn­di­cale (entre la FNSEA et José Bové)

Surtout nous devons priv­ilégi­er les pro­duits de qual­ité (rap­pelons qu’une vache est her­bi­vore et non car­ni­vore) et il faut réduire l’u­til­i­sa­tion d’en­grais et des pes­ti­cides nuis­i­bles à la san­té. Bref il faut pro­mou­voir l’a­gri­cul­ture de ter­roir, la tra­di­tion et l’ex­cel­lence, en un mot le « Bien Manger ».

Bril­lat-Savarin dis­ait : « la des­ti­na­tion des nations dépend de la manière dont elles se nour­ris­sent ». Il faut accroitre les appel­la­tions d’o­rig­ine et les labels avec une pro­tec­tion juridique com­pa­ra­ble à celle des brevets ; main­tenir la fab­ri­ca­tion tra­di­tion­nelle (fro­mage au lait cru, char­cu­terie arti­sanale …) et dévelop­per la fil­ière biologique ; bien sûr, pro­hiber le bœuf aux hor­mones et les OGM tant que leur innocuité ne sera pas démontrée.

Le MNR veut le retour à l’har­monie dans la nature et nos cam­pagnes. La Terre de France a été façon­née par le tra­vail, la sueur et par­fois le sang des mil­lions d’hommes qui nous ont précédés sur notre sol. Les paysans sont les gar­di­ens de cet héritage, le lien entre le peu­ple et sa terre comme les marins avec la mer. Ce sont nos racines et nos ancres. L’é­colo­gie doit ten­dre à la con­ser­va­tion de notre pat­ri­moine naturel mais elle implique aus­si la défense de notre iden­tité qui con­stitue un tout : eth­nique, cul­turel et naturel. Pro­té­geons la faune et la flo­re mais aus­si notre peu­ple et notre civil­i­sa­tion. Avec le MNR, nous res­terons la France des ter­roirs et des clochers.

Bernard Bres

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